Rachid Nekkaz, 34 ans, ancien «jeune de banlieue», patron de start-up et candidat à l'Elysée. Avec un programme radical et éclectique, il veut bousculer les idées reçues.
Dimanche 9 juillet, 22 h 15. A l'heure où un Kabyle aux pieds agiles et aux nerfs fragiles sort de scène sur un coup de tête, un autre fils de l'immigration, 34 ans lui aussi, se prépare à entrer sur le terrain. Avec une quinzaine de sympathisants, Rachid Nekkaz va distribuer des milliers de tracts sur les Champs-Elysées, à deux pas de son appartement-QG de campagne. En huitièmes, en quarts et en demi-finale, il avait déjà profité du petit retour de flamme black-blanc-beur pour faire connaître son projet un peu fou et très raisonnable : un Arabe président de la République. Pourquoi pas ? Jamel Debbouze n'est pas Coluche et Dieudonné ne fait plus rire que lui-même. Mais attention, Rachid Nekkaz n'est pas là pour la galerie. «Soit je fais 0,001 %, soit je suis à 12 %.» Encore faut-il que les 288 promesses de signatures recueillies il en faut 500 ne s'évaporent pas au moment de les transformer en paraphes, en mars 2007.
Sur son site (1), Rachid Nekkaz affiche la couleur. «Le seul candidat à la présidentielle issu des quartiers populaires». Même s'il a plus la tête d'un patron de start-up de Bangalore, Nekkaz est un «jeune de banlieue», stricto sensu. Le curriculum est idoine : naissance à Villeneuve-Saint-Georges, neuvième enfant sur douze de Larbi et Khadija, tous deux analphabètes. Père mineur de fond, cinq fois opéré, mariage au bled en Algérie, regroupement familial. En 1967, la famille a la «chance» de débarquer en cité de transit. Ses vieux y ont habité jusqu'à l'année dernière. «On a grandi avec l'idée qu'on rentrerait en Algérie. Tout était provisoire.» Rachid est le premier de sa famille à avoir eu des papiers français, à 11 ans, pour un voyage scolaire en Angleterre.
Comment s'est-il retrouvé à la tête de Vudunet, une société de conseil et d'expertise sur l'Internet, avec mocassins à boucle et chemises rayées, BMW de cadre moyen-sup, appartement dans le XVIe et une maison à Asnières ? C'est à la fois simple et compliqué. Paradoxalement, cela commence par le fait d'assumer sa différence plutôt que la subir. Chez les Nekkaz, on parle arabe à la maison, français dehors : «Il n'y a rien de pire que de se faire traiter de sale Arabe et de ne même pas parler arabe.» Il suit cette règle avec son fils Iskander, 5 ans, de mère américaine, hispanophone et cadre sup.
Deuxième pilier, la famille. «Notre père nous disait juste : "Il faut être le meilleur." L'éducation, c'est pas des grandes choses, juste quelques principes simples qu'on répète beaucoup.» Le soir, il bûche tandis que les copains squattent la cage d'escalier. Les mercredis, violon au conservatoire. L'ordre mais pas la schlague. Quand Ségolène Royal expose ses propositions musclées, il allume : «Les jeunes de banlieue ne sont pas des animaux et les quartiers populaires ne sont pas un zoo pour expérimenter des idées irresponsables et dangereuses pour la dignité de nos concitoyens.» Ses frères et soeurs ont tous réussi. «Quand la famille est structurée, on ne risque rien.» A 12 ans, l'aîné, avocat, l'envoie au collège, à Paris : «A Choisy-le-Roi, tu ne feras rien de bon.» Un autre frère, philosophe et psychanalyste, lui raconte Kant et Hegel, le soir dans sa chambre, comme d'autres détaillent les dribbles de Thierry Henry ou les rimes de Joey Starr. «A 16 ans, j'avais lu l'Etre et le Néant , j'avais l'arrogance de ceux qui pensent tout savoir.» Les murs de l'appartement familial sont tapissés de livres, il cite l'édit de Caracalla et revisite l'histoire de France. «En 1940, ni la droite ni la gauche n'ont défendu la patrie. La droite par haine de la République et la gauche par internationalisme. Il est temps que les Français se réconcilient avec leur histoire. Ce pays n'est pas né en 1789...» Il n'oublie pas les oncles FLN torturés pendant la guerre d'Algérie. Mais ne se reconnaît pas dans la demande de repentance des «indigènes de la République» et ne croit pas à une poussée identitaire dans une communauté arabe «ataviquement divisée» .
Troisième condition, l'école. Il a une maîtrise d'histoire de la Sorbonne et a été admissible à l'agrégation de philo. «Paradoxalement, c'est là que j'ai compris que les diplômes ne servaient à rien si on n'avait pas les relations, les contacts, les codes. Le cauchemar, dans la cité, c'est l'absence de réseau, de relations.» Au lycée Victor-Duruy («à 200 mètres de Matignon !») , on le prend pour un fils d'ambassadeur : belles mains, diction précise, il ne «fait» pas arabe même s'il pratique l'islam avec modération (ni porc, ni alcool, il fait le ramadan mais pas la prière). En quinze ans, jamais un contrôle de police au faciès. On insiste : pas de discrimination, vraiment ? «A la rigueur, c'est le contraire. Quand mon porte-parole Jean-Bruno Roumégoux, blanc et catholique, écrit une lettre à un ministre, c'est la secrétaire qui répond. Dès que c'est moi qui signe, on m'appelle pour un rendez-vous.»
En sortir donc, pour mieux y revenir. «Quand j'ai eu le bac, j'ai regardé ce qu'étaient devenus les copains. La cata : drogue, prison, chômage. J'ai voulu rendre tout ce qui m'a été donné.» A 20 ans, il fonde une association avec Léonard Anthony, un ami d'origine indienne de Choisy-le-Roi, aujourd'hui son associé dans Vudunet. Leur projet, mener une enquête sur la Bourse avec 10 jeunes de banlieue, pour «changer leur image» . Le plus difficile n'a pas été d'écrire le livre mais de le faire paraître : 1 500 courriers, sans succès. Un coup de pouce de Rachida Dati, magistrate et aujourd'hui tête chercheuse chez Sarkozy, débloque la situation. En 1998, les deux compères se mettent en tête de soumettre des questions de jeunes internautes aux chefs d'Etat du G7. Refus poli à l'Elysée. Jusqu'à ce que Rachid et Léonard décrochent un rendez-vous avec un conseiller de Clinton, qui flaire le coup de pub. En Rastignac d'aujourd'hui, Rachid Nekkaz utilise chaque contact pour accéder à l'étage supérieur. Mais quand Rachida Dati lui demande son CV il décline...
Nekkaz n'est ni de droite, ni de gauche, ou alors l'un et l'autre ; il roule pour lui. «C'est ça qui agace : un Arabe qui milite oui, mais se présenter à la présidentielle, c'est trop.» Le 14 mars, Nekkaz comptait faire sa déclaration de candidature à l'Assemblée ; au dernier moment, le député UMP Laurent Wauquiez, qui avait réservé une salle, a annulé. «Ils ne veulent pas que la banlieue devienne un réservoir électoral. Ces populations n'étaient pas désirées : on a fait venir les pères en pensant qu'ils rentreraient au pays. On n'a pas voulu investir dans l'urbanisme, l'éducation. Paris, c'est Manhattan, un îlot protégé et les barbares autour. Liberté, égalité, fraternité, plus personne n'y croit.» Il en veut pour preuve la proposition de loi qu'il défend pour l'inscription automatique sur les listes électorales, nécessaire depuis le 21 avril 2002 et indispensable depuis les émeutes de novembre : «414 députés et 2 400 maires ont signé. Et rien, nada, oualou !»
Il n'a plus d'illusions sur le système capable de tout digérer, «même les 5 millions d'électeurs du FN et zéro député» . Il propose des réformes radicales à côté desquelles la VIe République de Montebourg est un ravalement de façade. Son programme de gouvernement est un mélange de naïveté, d'inventivité géniale et de bon sens. Aura-t-il la chance de le présenter ?
Rachid Nekkaz en 6 dates 1972 Naissance à Villeneuve-Saint-Georges. 1997 Publie On vous écrit d'à côté et Splendeurs et misères des petits actionnaires (Fixot). 1998 Monte une entreprise de conseil et création de sites Internet. 2002-2005 A l'origine d'une proposition de loi sur l'inscription automatique sur les listes électorales. 14 mars 2006 Annonce sa candidature à l'Elysée.
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www.nekkaz.comje trouvais ce portrait intéressant car on parle toujours des mêmes